[ Création Festival d’Avignon 2018 ]
LES ÉCRITS DE PRISON DE JEAN ZAY
Le destin tragique d'un homme ordinaire
Jean Zay, premier prisonnier politique du régime de Vichy
Les écrits de prison de Jean Zay sont des textes rédigés par Jean Zay au cours de sa captivité. Ils témoignent de la force morale et de la hauteur de vue du plus jeune ministre de l’Éducation nationale de tous les temps.
Humaniste convaincu, Jean Zay fut un homme brillant, dont les écrits et les paroles restent d’une pertinence absolue.
Génie politique, il fut prolifique en réformes et en créations qui marquent encore notre XXIe siècle.
La parole de cet homme épris de justice, qui œuvra très tôt pour défendre la laïcité – interdisant toute forme de propagande politique ou confessionnelle à l’école, et tout prosélytisme – est devenue aujourd’hui une référence nécessaire pour les nouvelles générations…
Je pars plein de bonne humeur et de force. Je n’ai jamais été si sûr de mon destin et de ma route. J’ai le cœur et la conscience tranquilles. Je n’ai aucune peur. J’attendrai, comme je le dois, dans la paix de ma pensée, l’heure de vous retrouver tous.
Intention de lecture
Genèse
Le 27 mai 2015, la «panthéonisation» de Jean Zay a contribué à raviver sa mémoire et, simultanément, réveiller de vieilles crispations anti-républicaines, plus particulièrement dans les milieux d’extrême droite…
Lorsque la Ligue des Droits de l’Homme de Châteaurenard m’a proposé de travailler sur ce projet de lecture, j’y ai vu l’occasion de (re-)mettre en lumière le brillant homme politique et l’écrivain remarquable que fut Jean Zay. Je tenais également à faire entendre et résonner cette parole vivante – à voix haute – dans l’époque confuse que nous traversons, où, plus que jamais, il devient nécessaire de se souvenir pour ne pas oublier que sans justice ni courage il n’existe pas de liberté.
Choix des textes
La méditation, intensément personnelle et magnifiquement écrite, du prisonnier
De la somme considérable des écrits de prison de Jean Zay, j’ai choisi de centrer cette lecture sur une partie de la correspondance qu’il entretint avec sa femme dès le premier jour de son arrestation (parue dans Les écrits de prison de Jean Zay 1940-1944 et sur des passages significatifs de son grand livre Souvenirs et solitude (ouvrages parus aux éditions BELIN).
En conservant la chronologie des écrits – le fil des événements – nous revivons les moments marquants de la vie de ce prisonnier politique hors du commun, qui, animé par une confiance éperdue de justice et en dépit des conditions absurdes de son emprisonnement, parvint grâce à l’écriture à hisser sa dignité et son destin d’Homme dans l’Histoire.
J’ai souhaité placer l’auditeur, à son tour, dans la position particulière du témoin : témoin de l’absurdité politique et de ses ravages…, témoin du courage d’un homme qui a su résister et combattre la plus terrible injustice, pour gagner sa liberté.
Scénographie
Un homme seul, dans sa cellule, écrit à son épouse. Il nous fait partager au jour le jour ses réflexions de prisonnier avec beaucoup de lucidité, de sérénité et parfois même d’humour.
Pour rester fidèle aux Écrits de prison de Jean Zay et placer l’auditeur au plus près de sa parole, il m’a semblé essentiel de réaliser cette lecture de façon brute. C’est pourquoi sa scénographie est volontairement minimaliste, dépouillée de tout artifice, à l’image de la prison.
L'ambiance sonore
Au-delà des mots eux-mêmes, il y a les bruits de la prison : les transferts du prisonnier, l’annonce du verdict à la radio… Nous restons enveloppés dans le silence carcéral qui suinte à tavers les murs de la cellule, avec ses bruits de verrous, de pas dans les couloirs, de plaintes sourdes…
Parfois, la musique vient ouvrir l’espace, juste un peu, comme une respiration.
Avec les écrits de prison de Jean Zay, nous entrons dans la vie du premier prisonnier politique du régime de Vichy
Jean Zay ne témoigne pas seulement de ce qu’il a connu au temps où il était ministre ; il témoigne, au présent, de ce qu’il vit dans sa cellule : la solitude, bien sûr, mais aussi la prison au quotidien.
Grâce à la correspondance quotidienne qu’il a entretenue avec son épouse Madeleine, mais aussi à travers de nombreux extraits de son grand livre Souvenir et solitude, Jean Zay nous offre le témoignage remarquable d’un homme attachant, éblouissant de talent, de finesse et d’intelligence, mais attentif et sensible, profond parfois, qui, victime d’une persécution totalement inique, vit cette injustice dans la sérénité du juste, au fil interminable des jours et des nuits de sa prison.
Les écrits de prison de Jean Zay constituent le témoignage poignant d’un homme injustement condamné, privé de liberté et de tout recours, mais qui résiste avec un espoir inaltérable, en dépit de la souffrance et du désarroi, évoquant la « solitude » du prisonnier avec les souvenirs de sa vie, si active en politique.
Qui est Jean Zay ?
Avocat en 1928, jeune député radical du Loiret en 1932, il est réélu en 1936. Nommé à 32 ans ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts dans le gouvernement du Front populaire, il démocratise et modernise le système scolaire français et favorise l’accès de tous à la culture.
Jean Zay, l'homme qui...
– inventa le Festival de Cannes, mit sur pied les Grands Prix nationaux du cinéma et soutint la naissance de la Cinémathèque française,
– forgea la Réunion des théâtres lyriques nationaux, rénova la Comédie-Française, nationalisa les théâtres antiques d’Orange et de Vienne,
– créa le Musée de l’Homme, le musée d’Art moderne, le musée des Arts et Traditions populaires, le musée de la Marine, le musée des Travaux publics, le musée des Monuments français et le palais de la Découverte,
– proposa un statut de l’architecte et du droit d’auteur,
– œuvra pour la rénovation de la Bibliothèque nationale, la restauration du château de Versailles, de la cathédrale de Reims, et fit sauvegarder en 1939 les chefs d’œuvres du Louvre et du Prado, les vitraux de Notre-Dame de Chartres, de Reims, de Troyes, de Metz et de la Sainte-Chapelle ; les œuvres d’art de Saint-Séverin, de Saint-Etienne-du-Mont, de Saint-Sulpice, du Panthéon,
– conçut l’ENA et le CNRS,
– façonna l’Education nationale moderne, démocratisée et ouverte sur la cité, avec ses trois degrés primaire-secondaire-supérieur, préfigurant la réforme du collège unique de 1975,
– mit en place l’obligation scolaire jusqu’à 14 ans et les classes d’orientation, et instaura l’heure quotidienne d’éducation physique et le brevet sportif,
– interdit les propagandes politiques et confessionnelles dans l’enseignement public,
– promut la Médecine préventive, la création de l’ONISEP, du CROUS, et des bibliobus,
– créa 225 postes de professeurs et 5000 postes d’instituteurs, pour atteindre l’objectif d’un maximum de 35 élèves par classe,
– favorisa l’expérimentation, la pédagogie novatrice et la méthode active au détriment de la parole d’autorité…
Jean Zay, c’est aussi cet homme qui remit sa démission de ministre le 10 septembre 1939 :
« Monsieur le Président,
La loi sur l’organisation de la Nation en temps de guerre dispose que les membres du gouvernement, chargés de la direction de la guerre demeurent en fonction. Âgé de trente-cinq ans, je n’entends pas bénéficier de cette disposition et désire partager le sort de cette jeunesse pour laquelle j’ai travaillé de mon mieux au gouvernement depuis plus de trois ans. »
Le lendemain, la guerre éclate, Jean Zay est affecté sur le front de Lorraine. Il fait la guerre jusqu’en juin 1940, avant d’être convoqué par le gouvernement à Bordeaux…
Le ministre assassiné
Jean Zay : né en 1904, mort en 1940... assassiné en 1944 !
LE PIÈGE DU MASSILIA
En 1940, c’est la déroute. Le gouvernement français rejoint Bordeaux et envisage un départ vers les colonies d’une partie des institutions. Il réquisitionne le Massilia, un paquebot qui embarque des parlementaires pour constituer un nouveau gouvernement en exil. À la dernière minute, Pétain renonce à quitter la France… Les occupants du Massilia – dont Edouard Daladier, Georges Mandel, Pierre Mendès France, Pierre Viénot, Alex Wiltzer et Jean Zay – sont aussitôt transformés en « fuyards » par la dictature qui s’installe, et qui entend faire la chasse à la résistance républicaine. Jean ZAY est arrêté à Rabat le 16 août 1940 et transféré à la prison militaire de Clermont-Ferrand.
UN PROCÈS POLITIQUE TRUQUÉ
Après une instruction à charge, pendant laquelle la presse aux ordres de Vichy se déchaîne, Jean Zay est jugé par le même Tribunal militaire qui a condamné à mort le général de Gaulle. Après un simulacre de procès, il est condamné à la déportation et à la dégradation militaire : la même peine que celle de Dreyfus, jamais prononcée depuis. Pour les quatre inculpés, les peines suivent une étrange gradation alors que le motif d’inculpation est le même. Mendès France, juif, secrétaire d’État du Front populaire, est condamné à six ans de prison ferme. Viénot, sous-secrétaire d’État de Léon Blum, d’une vieille famille catholique de droite, est condamné à huit ans avec sursis. Wiltzer, simple député modéré et catholique, bénéficie d’un non-lieu.
LA DÉTENTION
Après quatre mois passés à la prison militaire de Clermont-Ferrand, Jean Zay est transféré, en décembre 1940, au Fort Saint-Nicolas, prison militaire de Marseille : placé au secret, sans lumière et sans feu, il tombe malade. Le 7 janvier 1941, il est transféré à la maison d’arrêt de Riom, où il est traité comme un détenu de droit commun. Grâce à son avocat, Alexandre Varenne, il obtient le droit de recevoir des visites de sa famille et, avec autorisation spéciale, de ses amis. Mais ce régime est durci à plusieurs reprises, en particulier en septembre 1943, après l’évasion du général de Lattre de Tassigny, puis en avril 1944.
L’ASSASSINAT
Le 20 juin 1944, trois miliciens se faisant passer pour des résistants, conduisent Jean Zay dans les bois de Cusset, près de Vichy, où ils l’abattent froidement avant de dissimuler son corps dans un ravin… Il faudra attendre mars 1948 pour que Charles Develle, un des assassins, soit arrêté : il avouera l’assassinat et en révèlera les circonstances. Le corps de Jean Zay pourra être ainsi identifié.
Avis
Une voix pour l’oublié
Une heure durant, Yves Mugler offre sa voix aux mots de Jean Zay. Pour une lecture de lettres et extraits de journal de bord d’un grand homme de l’histoire de France. Pourtant méconnu…
Une table de travail, quelques papiers épars et un homme. Universitaire, comédien ou ombre de Jean Zay. Un homme qui prête sa voix à ce politique que les manuels d’histoire oublient bien souvent. Député et ministre du Front Populaire, initiateur et défenseur de grands projets éducatifs et culturels, Jean Zay est loin d’occuper la place qu’il mérite dans la mémoire collective. La lecture qui nous est ici faite d’une sélection de lettres à son épouse et d’extraits de son journal de bord permet d’entrouvrir une porte sur sa grandeur.
Sa grandeur d’âme tout d’abord. Gardant confiance en la Justice malgré l’iniquité des tribunaux à son endroit. Ferme dans sa certitude d’oeuvrer pour le bien. Tel un phare qui devrait briller encore pour nous aujourd’hui. Grandeur politique ensuite, de celui qui a tant oeuvré pour l’accès à la culture et à l’éducation. Au point qu’on lui doit aujourd’hui encore tant de notre quotidien, sans même le savoir. Grandeur personnelle enfin, de cet individu qui refusa l’adversité et toujours crut en l’humain, malgré la petitesse des hommes.
Alors il est urgent d’écouter les mots que nous donne à entendre Yves Mugler. Tout en sobriété et retenue, il fait briller la flamme de l’espérance en un monde plus juste. Sans pathos ni effet déplacé. Un geste, une esquisse, un regard. Et une voix qui lit, vibre et porte les mots de Jean Zay. Comme pour mieux les laisser prendre toute leur place. Méritée.Karine Prost (Rue du théâtre)
À l’unanimité la prestation de Yves Mugler, avec une respectueuse écriture, sa mise en scène sobre et surtout son interprétation, ont conquis le très nombreux public présent. Public dont certains, connaissant le parcours de Jean Zay, ont découvert encore une source complémentaire à son oeuvre, et pour d’autres, la rencontre d’un Homme Véritable qui leur était inconnu. Le but recherché était atteint au delà de nos espérances. C’est un spectacle vivement recommandé.
François Otto (Ligue des Droits de l’Homme – section Nord-Alpilles)
Yves Mugler, par le choix minutieux et lumineux dans les écrits de prison de Jean Zay, a su recréer l’atmosphère historique de cette période trouble et entraîner le public dans la pensée intime du grand humaniste que fut Jean Zay. La construction maîtrisée des séquences, entrecoupées d’intermèdes sonores, la sobriété et la justesse du ton ont contribué à faire de cette lecture un moment intense et émouvant.
Lourdes Segura (Directrice de la médiathèque Isidore Rollande – Châteaurenard)
Renseignements & programmation
Yves Mugler : 06 12 28 63 96
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